
De quelle couleur est-il, ce vert foncé? Est-il rompu ou saturé? Un vert militaire peut être foncé et, pourtant, n’avoir rien de commun avec un vert sapin.. lui aussi foncé, lui aussi vert.
Les couleurs me fascinent toutes.
Enfant, j’avais un jour emprunté un jouet. Il s’agissait d’une tête à coiffer et maquiller, comme celles sur lesquelles on présente les perruques dans les vitrines. Je disposais, moi aussi, de plusieurs perruques synthétiques, de couleurs grasses pour maquiller son visage et qu’on pouvait essuyer d’un coup d’éponge, de pupilles de différentes teintes et je m’en donnais à coeur joie. J’ai toujours adoré les déguisements. Celui-ci se renouvelait à l’infini, je testais les harmonies et les dissonances pendant des heures et avait décidé de devenir maquilleuse. Mes parents, qui envisageaient pour moi un avenir académique plus distingué, ne l’entendaient pas de cette oreille et la poupée me fut retirée.
Quelques décennies plus tard, je me présentai en catimini à une formation de conseil en colorimétrie. Dans le sous-sol d’un quartier délabré de Bruxelles - ville où mes engagements professionnels me propulsaient régulièrement - je courais, le soir, mélanger de la peinture en silence. Pendant des heures. Je fabriquais du vert, du vert foncé même et un millier d’autres nuances, je constituais en mosaïque un cercle chromatique de taille respectable fait de subtiles touches de gouache. Une fois mon oeuvre complète et sèche, je découpais patiemment tous les petits carrés de couleur et les éparpillais sur une gigantesque table à dessin. Tout était mélangé dans un grand éclat de rire. Puis je reprenais mon travail minutieusement et réorganisais, un par un, les petits carrés de papier colorés, jusqu’à reconstruire exactement le cercle chromatique alors que les nuances voisines ne se différenciaient que par l’ajout d’une ou deux gouttes de couleur différente. Jaune plus une goutte de bleu, jaune plus deux gouttes de bleu, plus trois gouttes… etc. J’adorais cette activité esthétique et méditative, censée aiguiser mon regard et ma perception.
De ce point de vue, ce fut une réussite.